Great review in Crescendo, Belgium
November 3, 2023
Jean Lacroix
Hugo Distler et la sérénité fervente de son « Histoire de Noël »
Le 3 novembre 2023 par Jean Lacroix
Hugo Distler (1908-1942) : Die Weihnachtsgeschichte opus 10. Adam Riis, ténor ; Concert Clemens, direction Carsten Seyer-Hansen. 2022. Notice en anglais et en allemand. Textes en allemand, avec traduction anglaise. 40’17’’. Our Recordings 6.220684.
Né à Nuremberg, le compositeur allemand Hugo Distler connaît dès son enfance une vie difficile. Il est âgé de quatre ans lorsque sa mère quitte le milieu familial pour suivre un vendeur de jouets à Chicago, laissant son fils aux soins de sa grand-mère. Son attirance pour la musique se concrétise par son entrée au Conservatoire de Leipzig, en 1925, où il étudie notamment avec Gunther Ramin (1898-1956), célèbre organiste, spécialiste de Bach et directeur du Chœur de l’église Saint-Thomas. Ses grands-parents étant décédés, le jeune Distler doit subvenir à ses besoins. Grâce à Ramin, Il est engagé comme organiste à Lübeck de 1931 à 1937. Il se marie et collabore aux activités musicales de cette cité hanséatique où a vécu Buxtehude. Il y enseigne, puis à Stuttgart, avant de s’installer à Berlin en 1940. L’arrivée au pouvoir des nazis en 1933 l’a obligé, pour conserver son poste, à prendre la carte du parti. Mais ce chrétien convaincu est objecteur de conscience et il refuse l’ordre de mobilisation qui l’oblige à combattre. Pour y échapper, il se suicide, âgé de 34 ans, laissant un catalogue limité où dominent la musique chorale et des pages de musique de chambre.
La carte du parti ne permet pas à Distler d’éviter les foudres du pouvoir hitlérien, qui va finir par considérer sa musique comme de « l’art dégénéré ». Lorsqu’il compose Die Weihnachtsgeschichte pour voix seules en 1933, il se réfère au langage protestant et à la musique du XVIIe siècle, en particulier à Heinrich Schütz, dont il admire la Passion selon Saint Matthieu, jouée chaque année à Lübeck. Il va se créer un style personnel à partir de celui du principal représentant du premier style baroque allemand. La notice précise que Distler décrivait sa partition comme « un oratorio de caractère chambriste ». Mais le climat trop chrétien de l’œuvre irrite les nazis, qui vont violemment perturber en 1936 une représentation qu’ils vivent comme une provocation en raison de son introduction : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » Distler ne vivra plus de façon apaisée après cet événement, la guerre, ses massacres et ses destructions venant perturber et déprimer le pacifiste qu’il est.
Construite selon un schéma d’alternance entre un chœur mixte traité en polyphonie et des interventions de six solistes, Die Weihnachtsgeschichte se déroule dans une atmosphère baignée de douceur, de tendresse et de vénération. Sur la base de textes de Saint-Luc et de Saint Matthieu, la narration, au sein de laquelle on retrouve l’Ange, Elisabeth, la Vierge Marie, Siméon et le roi Hérode, est menée par un Évangéliste, rôle majoritaire dévolu à un ténor, qui énonce l’histoire de Noël bien connue de façon psalmodique. L’ambiance générale est éthérée, profondément religieuse, et apporte un sentiment de paix généreuse. De façon récurrente, Distler utilise des échos d’un chant traditionnel du XVIe siècle, Es ist ein Ros entsprungen, en variant les couleurs harmoniques. Un bel équilibre surgit entre le récit du soliste principal, les solos occasionnels, et le chœur, à quatre ou huit voix. On sort de l’audition avec une réelle sensation de sérénité intérieure.
Le présent enregistrement est une aventure danoise. Le ténor Adam Riis (°1978), l’Évangéliste de cette fervente magie de Noël, est un habitué du répertoire baroque, de Schütz précisément (dont il a gravé pour Danacord la Weihnachts-Historie), de Buxtehude, Bach ou Haendel, mais aussi de Monteverdi. Ce qui ne l’empêche pas d’honorer Mozart, Schumann, Britten, son compatriote Nielsen ou des créateurs contemporains. Sa prestation, toute en finesse, participe beaucoup à la réussite de ce contexte sacré. Le groupe vocal Concert Clemens a été fondé en 1997 par le Danois Carsten Seyer-Hansen (°1971), son chef et responsable artistique. Etabli à Aarhus, agglomération portuaire de 300 000 habitants dans la région du Jutland, très active sur le plan culturel, il se compose d’une petite vingtaine de chanteurs, qui sont utilisés comme solistes ou choristes. Son répertoire va de Bach aux musiciens de notre temps, ce dont témoignent plusieurs disques, notamment pour Danacord ou Orchid Classics. C’est à ce groupe vocal qu’appartiennent les cinq jolies voix qui émergent de temps à autre comme solistes, à savoir Johanne Farup (l’Ange), Ida Cecilie Holm (Elisabeth), Beke Pfann (la Vierge Marie), Niels Peder Skaarup Gejel (le roi Hérode) et Søren Tjagvad (Siméon).
Il existe d’autres versions de cette page de Distler. En 1990, le Thomanerchor Leipzig, sous la direction de Hans-Joachim Rotzsch, s’en emparait (réédition Brilliant, 2013), avant le Kammerchor der Hochschule der Kunsten Berlin que menait Christian Grube (Thorofon, 1999). Klaus-Martin Bresgott l’a gravée de façon lumineuse (Carus, 2015), avec l’Athesinus Consort Berlin qui bénéficiait de la présence de Thomas Volle en qualité d’Évangéliste. Le présent enregistrement, réalisé en l’église Saint-Martin d’Aarhus, est de même essence, claire, limpide et chaleureuse. Même si l’œuvre se suffit à elle-même, on peut émettre un petit regret : le court minutage (quarante minutes) aurait permis une connaissance plus approfondie du compositeur, par exemple par l’ajout de l’une ou l’autre pièce chorale.
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 8,5 Interprétation : 10
AI Translation
Hugo Distler (1908-1942): The Christmas Story, Opus 10. Adam Riis, tenor; Concert Clemens, conducted by Carsten Seyer-Hansen. 2022. English and German liner notes. Texts in German with English translation. 40'17''. Our Recordings 6.220684.
Born in Nuremberg, the German composer Hugo Distler faced a difficult life from an early age. At the age of four, his mother left the family to follow a toy salesman to Chicago, leaving him in the care of his grandmother. His passion for music led him to enter the Leipzig Conservatory in 1925, where he studied, among others, under Gunther Ramin (1898-1956), a renowned organist, Bach specialist, and director of the St. Thomas Church Choir. With his grandparents deceased, young Distler had to support himself. Thanks to Ramin, he was hired as an organist in Lübeck from 1931 to 1937. He got married and contributed to the musical activities of the Hanseatic city, where Buxtehude had also lived. He taught there and later in Stuttgart before settling in Berlin in 1940. The rise of the Nazis to power in 1933 forced him to join the party to keep his position. However, as a devout Christian and a conscientious objector, he refused the mobilization order that would have forced him into combat. To avoid this, he took his own life at the age of 34, leaving behind a limited catalog dominated by choral music and chamber music.
Distler's party membership did not shield him from the Nazi regime, which eventually labeled his music as "degenerate art." When he composed Die Weihnachtsgeschichte for solo voices in 1933, he drew inspiration from the Protestant tradition and 17th-century music, particularly Heinrich Schütz, whose Passion according to St. Matthew he admired and which was performed annually in Lübeck. Distler developed his personal style based on the primary representative of the early German Baroque style. He described his score as "a chamber oratorio." However, the overtly Christian nature of the work irked the Nazis, who violently disrupted a performance in 1936, viewing it as a provocation due to its introduction: "The people who walked in darkness have seen a great light." After this event, Distler no longer lived in peace, as the war, its massacres, and destruction disturbed and depressed the pacifist within him.
Die Weihnachtsgeschichte is structured with alternating sections, featuring a mixed choir in polyphony and interventions from six soloists. The narrative, including the Angel, Elizabeth, the Virgin Mary, Simeon, and King Herod, is led by an Evangelist, a role primarily assigned to a tenor, who recites the well-known Christmas story in a psalm-like manner. The overall atmosphere is ethereal, profoundly religious, and evokes a sense of generous peace. Distler recurrently uses echoes of a 16th-century traditional song, "Es ist ein Ros entsprungen," varying the harmonic colors. A beautiful balance emerges between the main soloist's narration, occasional solos, and the four- or eight-voice choir. The listener comes away with a profound sense of inner serenity.
This recording is a Danish venture. Tenor Adam Riis (born in 1978), the Evangelist in this fervent Christmas magic, is well-versed in Baroque repertoire, especially that of Schütz (he recorded Schütz's Weihnachts-Historie for Danacord), Buxtehude, Bach, Handel, Monteverdi, as well as honoring Mozart, Schumann, Britten, his compatriot Nielsen, and contemporary composers. His delicate performance greatly contributes to the success of this sacred context. The vocal ensemble Concert Clemens was founded in 1997 by Danish conductor and artistic director Carsten Seyer-Hansen (born in 1971). Based in Aarhus, a cultural hub with a population of 300,000 in the Jutland region, the ensemble consists of around twenty singers who are utilized as soloists or choristers. Their repertoire spans from Bach to contemporary composers, as evident in several recordings, including those for Danacord and Orchid Classics. The five beautiful voices that occasionally emerge as soloists are Johanne Farup (the Angel), Ida Cecilie Holm (Elizabeth), Beke Pfann (the Virgin Mary), Niels Peder Skaarup Gejel (King Herod), and Søren Tjagvad (Simeon).
There are other versions of Distler's page. In 1990, the Thomanerchor Leipzig, conducted by Hans-Joachim Rotzsch, took it up (reissued on Brilliant, 2013), followed by the Kammerchor der Hochschule der Kunsten Berlin led by Christian Grube (Thorofon, 1999). Klaus-Martin Bresgott recorded it luminously (Carus, 2015) with the Athesinus Consort Berlin, featuring Thomas Volle as the Evangelist. This recording, made at the Saint-Martin Church in Aarhus, possesses the same clarity, transparency, and warmth. Although the work stands on its own, one might express a slight regret that the short duration (forty minutes) doesn't allow for a deeper exploration of the composer, such as the addition of another choral piece.
Sound: 9 Liner Notes: 8 Repertoire: 8.5 Performance: 10
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